Avec la fin des confinements et autres restrictions, j'ai pu retrouver le plaisir de danser le tango. Mieux, même: le plaisir d'apprendre, en stage, de nouveaux pas, et de revoir ceux que je connaissais... dans les détails.
Dans le même temps, je prends prudemment des cours pour savoir, un jour peut-être, conduire une moto. Une belle. De la puissance nécessaire non pas pour aller vite mais pour sentir que, seule, je peux prendre plaisir à aller ici ou là, à ma guise, en lisant la route et en ajustant ma posture aux micro-réactions de ma moto.
Apprendre suppose que les pas de danse ou les manoeuvres lentes sont encore à répéter, à corriger. Qu'il faut encore, des heures durant, décomposer le geste avant qu'il soit inscrit suffisamment dans le corps de la manière qui permettra ensuite de ne plus y penser.
Les phases de découragement, dans les deux activités, sont incontournables et chaque personne qui apprend est placée face à des problématiques qui lui sont propres.
En ce qui me concerne, tout est question d'équilibre: pour réussir un ocho en abrazo fermé, est-ce que je trouve une position stable seule ou est-ce que je me repose sur mon partenaire ? Quelle distance laisser pour que le pas soit fluide ? Est-ce que l'axe entre mes pieds, ma taille, mes épaules, est le plus juste pour permettre à l'harmonie de s'installer ?
Sur une moto, pour réussir un virage le plus lent possible sans me laisser emporter par le bel engin, sur quel pied est-ce que je fais porter mon poids ? Est-ce que je me penche ou me redresse, et où diriger le regard afin que tout le corps soit à l'unisson ?
Apprendre, comme écrire ou lire, c'est prêter une attention soutenue aux détails. Que fait Proust sinon déplier, et déplier encore, chaque émotion, chaque réaction de son personnage ?
Même chose lorsque je suis auteure: je cherche tous les détails, tous, avant d'écrire la phrase la plus anodine, bien convaincue que c'est ce qui fera la qualité du texte - même les détails dont je ne parlerai pas, naturellement; circonstances, développements restés secrets, qui n'appartiennent qu'à moi et que parfois, étrangement, des lecteurs devineront.
Ex-pliquer: déplier, décomposer. Une activité difficile parfois: va décomposer un freinage d'urgence, qui par définition doit se faire très vite ! Une personne experte est probablement capable de mettre de la conscience dans d'infimes détails pour réussir une performance, améliorer son temps, gagner une course. Un couple de danseurs confirmé sait exactement si, pendant telle ou telle figure, le poids de son ou de sa partenaire a porté sur le métatarse ou sur la point du pied.
En descendant dans les détails, tu explores ce que ta conscience met d'ordinaire en sourdine. Tu centres ton attention, tu la déplaces. Ensuite, tu les oublies, et la danse a gagné en fluidité, la manoeuvre devient naturelle : place à la musique ou au paysage.
Rien de bien nouveau: le plaisir est dans les détails.
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