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Photo du rédacteurElisabeth

Un don


Tu me dis : c’est un don. Tu dis encore : quel courage, d’écrire ! Quelle patience ! Quel travail, quelle persévérance, que sais-je ? Tu m’attribues cette force de caractère, ou bien tu évoques un don reçu, accompagné de tes croyances : un don des Dieux, ou un don qui serait en lien avec une réalité située ailleurs, impalpable, peu identifiable, vaguement sacrée d’une façon ou d’une autre.

Naturellement je respecte ces paroles, et puis il y a du vrai, dans le sens où écrire demande des qualités morales, au même titre que toute activité permettant à l’être de se réaliser : des qualités identiques à celles que nécessite la pratique d’un sport, d’une discipline artistique, artisanale, d’une recherche passionnée dans quelque domaine que ce soit, fût-ce déprécié et peu valorisé socialement.


En remontant l’aiguille du temps, il est possible d’imaginer que l’écriture a joui d’un certain prestige parfois, qui demeure, puisque le don d’écrire a été associé à l’inspiration divine – des Muses ont même été désignées, dont on dit qu’elle favorisent l’inspiration. Figures féminines, elles sont filles de la Mémoire et cela n’a rien d’anodin. Le pôle masculin n’est pas en reste puisque des Dieux sont associés également à l’idée d’inspiration : Apollon pour l’ordre et l’équilibre, Dionysos pour le vertige et le bouillonnement. Tout est dit, dans une certaine mesure.

Plus proche de notre contexte, les poètes humanistes ont théorisé ce qui favorise le souffle littéraire, inventant le terme presque fascinant tant il est riche d’innutrition : par ses lectures, sa culture, tout ce dont il se nourrit émotionnellement finalement, l’artiste s’imprègne. Il fait sien ce bagage pour façonner quelque chose de nouveau.


J’aime ces théories. Elles désignent une chronologie : d’abord la mémoire, d’abord l’assimilation d’auteurs, d’artistes, croisés avec notre parcours pourquoi pas biographique, nos nourritures d’impression. Lire, donc, avant tout. Laisser reposer. Les surréalistes ajouteraient : laisser l’imaginaire commun travailler, faire le job, parfois à plusieurs, laisser circuler. J’ajouterais, fidèle aux poètes anciens ou plus modernes, inscrite dans notre tradition : laisser jouer le corps, et le sommeil.

Écrire, naturellement, ensuite, en puisant les conseils chez nos aînés, nos auteurs et autrices confirmés (parfois plus jeunes d’ailleurs, parfois très vivants ou vivantes, parfois peu connus encore). Écouter la voix de notre profondeur et tenter de poser les mots les plus justes. Si cela intéresse, être publié pour rejoindre la voix commune et déposer un sédiment dans l’épaisseur de notre culture qui n’est que partage.


Tu dis que c’est un don et je suis d’accord avec toi en ce sens que j’ai reçu : j’ai reçu des spécialistes, des auteurs et des professeurs qui m’ont ouvert les portes. Je leur en garde une gratitude qui dépasse les mots. J’ai reçu de la part d’êtres de chair, je ne crois pas avoir reçu de souffle divin, j’ai reçu de passeurs permettant aux textes de continuer à vivre par-delà le changement incessant des siècles – chaque bibliothécaire conservant une page y contribue, chaque professeur dépliant une pensée d’artiste y contribue.

Je peux mettre des noms sur les personnes qui m’ont fait ce don précieux me permettant d’écrire. J’espère, en partageant une lecture tout simplement, un texte, donner à pleines brassées pour que d’autres écrivent encore, élevant l’homme jusqu’à sa profondeur.



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